TOPOGRAPHIE DEROBÉE
Jens Asthoff
L´artiste plasticien Didier Béquillard présente à Hambourg l´exposition qui porte le titre « morceaux choisis » à la galerieXprssns. De singulières, molles et grises formes sont accrochées au mur. Il y en a beaucoup, on ne peut les décompter d´un seul regard. Didier Béquillard les a réparties sur la surface à intervalles réguliers. Parfois elles recouvrent un mur complet, d´autres fois elles s´étendent en une couche amorphe aux frontières irrégulières qui pourrait évoquer vaguement une ville vue d´avion. Presque aucune des formes n´excède 40 x 40 cm, pratiquement toutes ont des bords droits et sont découpées en rectangles. Il y a quelquefois des angles aigus, plus rarement ce sont des lignes rondes ou courbes qui caractérisent le design des éléments. Les formes bien que clairement définies et souvent très simples sont cependant extrêmement diverses : malgré un évident air de famille, aucun des morceaux n´est identique. Ce que Didier Béquillard laisse courir sur les murs en un arrangement compact sont de toute évidence des exemplaires uniques. Ils ne sont pas issus d´une structure sérielle, n´obéissent à aucun développement logique, mais co-existent en tant que formes individuelles, échappant à toute hiérarchie de composition. Parce qu’ils sont égaux entre eux et sans superstructure, les morceaux s´intègrent dans un ensemble, lequel se reforme à chaque reconfiguration. « Il n y a pas de plan précis, déclare Didier Béquillard, j´associe les morceaux de façon plutôt aléatoire et non dans le sens d une composition « artistique ». (1) La forme individuelle subit une contradiction délibérée due au choix du matériel. Les « Morceaux » présentent des contours définis dans leur bi dimensionnalité mais au lieu d être réalisés comme de simples dessins, ce sont bel et bien des objets. Leur tridimensionnalité -évoquant un coussin- oscille entre une surface au contour bien défini et sa spatialité. L´ambiguïté de ce statut est encore accru par l accrochage au mur. Est-ce une image ou bien un objet ? Pour leur fabrication Didier Béquillard utilise un rembourrage gris fait de chutes de tissus parsemé de fils de couleurs (de la bourrette comme celle utilisée pour le rembourrage des sièges) et de tarlatane, une sorte de gaze fine. Les morceaux de gaze découpées à la taille de la forme sont remplis de bourrette de deux à trois centimètres d épaisseur et fermés sur les bords à l’aide de silicone blanc transparent. Leur aspect duveteux et austère à la fois, qui rappelle les matériaux de l Arte Povera, met en œuvre une certaine contradiction, car les matériaux adoucissent le contour net, un peu tranchant, que la forme par elle-même voudrait apporter. Didier Béquillard créé ainsi une atmosphère délicate aux contraires croisés : il façonne une image aux bords doux et aux contours estompés ; il peint à l aide de gris coloré qui reste suffisamment neutre et cependant donne le rythme (ponctue), Il redouble leur diversité en les intégrant dans l’ensemble, oú elles se fondent ensuite. Si les « Morceaux choisis » sont donc bien formellement une composition murale à L’esthétique discrètement raffinée, on peut se poser la question d´où ces formes proviennent en vérité. Indubitablement elle rappellent quelque chose que l on connaît, leur accumulation conforte vaguement dans cette impression. Ce qui est sûr, c est que Didier Béquillard ne se livre pas ici à l’abstraction libre ou qu’il ne pressente pas des patrons de couture prédécoupés. Mais bien plus il invente un paysage urbain, plus exactement une vue de Hambourg. En effet, les formes proviennent de plans de maisons que Didier Béquillard a choisies de façon subjective mais récoltées sur l´ensemble du territoire hambourgeois, sans préjugé de quartier. Par la même ses morceaux choisis – en se rapportant toujours á la ville où il montre le travail- sont à chaque fois nouveaux. Pendant sa recherche Didier Béquillard procède selon une systématique très personnelle : au Cadastre il s´est procuré de nombreux plans de la ville de la hanse à l´échelle 1/5000, les a agrandis au 1/2500 et les a divisés chacun en 16 carrés. Il en a ensuite imprimé beaucoup, de préférence ceux provenant d´endroits qu’il connaît personnellement : « je suis très souvent à Hambourg » déclare l’artiste qui vit à Toulouse. Je découvre la ville à pied ou bien à vélo. (2) En tout 100 découpes du plan de la ville de Hambourg ont été rassemblées et sur chacun Didier Béquillard a choisi trois maisons, soit en raison d un tracé intéressant, soit par goût personnel : « On a une sympathie pour certaines formes, admet Didier Béquillard, de plus j’ai dû être attentif à l échelle. Aussi n’ai-je pas choisi nécessairement les plus gros immeubles et je me suis plutôt basé sur la variété des formes. D autres fois je me suis basé sur le rapport de deux formes entre elles ou sur le fait que des amis à moi habitaient ces maisons » (3) L exposition hambourgeoise de Didier Béquillard comprend 300 motifs. Chacun des plans a été agrandi au format 1/100 puis transformé et détourné dans la matérialité citée plus haut, La disposition dans la salle d’exposition est totalement libre et ne se rapporte pas à la localisation des immeubles dans la ville ou à leur relation entre elles. Didier Béquillard montre morceaux choisis – à prendre au mot. Il les a choisis dans l’espace urbain de Hambourg et ils contiennent de façon exemplaire la ville entière. Il a couvert le territoire, s’en est fait une idée, se l’est approprié, l’a individualisé en objet trouvé. Enfin il l´a retraduit dans une forme physique et recombiné. Ces morceaux choisis sont des fragments extraits d’un tout, fragments qui à leur tour forment un nouvel ensemble. Un lacis topographique dans lequel se reflète la physionomie de la ville, paysage urbain dérobé et détourné.
1,2,3: Didier Béquillard dans un e-mail à l´auteur avril 2006
Jens Asthoff Traduit de l'Allemand par Anne-Marie Siegel.